
Égée, capitale des mathématiques et de la musique
Publié dans le journal grec TA NEA 1/9/2021
Cédric Villani, Médaille Fields 2010, Député de l'Essonne,
Président de l'Office parlementaire d'évaluation
des choix scientifiques et technologiques
Dionysios Dervis-Bournias, chef d'orchestre franco-grec
L'arrivée cette semaine du Professeur Bertrand Maury à Samos
inaugure la collaboration de l'Université Paris-Saclay avec
l'Université de l'Égée. Une collaboration franco-grecque
dans le domaine des mathématiques sur les iles de la mer Égée
n'est pas un choix anodin. Les urbains du 21 ème siècle
considèrent l'Égée comme un archipel dédié au farniente.
Pourtant, pendant l'Antiquité, ces mêmes iles abritaient des
scientifiques et des mathématiciens en pleine activité. Si c'est
à Éphèse que la philosophie grecque a d'abord vu le jour pour se
déployer ensuite à Athènes avant de devenir tutrice de la pensée
occidentale, c'est sur les iles de la mer Égée que les grecs ont
développé les mathématiques.
Observons l'originelle géographie
de l'Égée, moins pittoresque qu'une plage de carte postale
mais dont l'empreinte fut autrement plus résistante dans le
temps: c'est bien à Rhodes que furent dessinées les premières
horloges astronomiques, ancêtres de nos ordinateurs, par Geminos de
Rhodes ; c'est à Chios que l'obliquité du zodiaque fut
découverte par Œnopide de Chios. C'est à Samos enfin que fut
formulé au début du 6ème siècle avant notre ère «Tout est nombre»
par Pythagore de Samos; dessinant ainsi un rythme entre arithmos
(nombre) et logos, caractéristique première de la pensée
scientifique et accessoirement base de la révolution numérique. Et
c'est ce même Pythagore qui étudiera pour la première fois en
Occident le rapport étroit entre musique et mathématique.
Comment rendre compte de cette richesse intellectuelle égéenne intimement
grecque depuis l'antiquité ? Autant reprendre une par une les
preuves de la sphéricité de la terre et ce depuis Anaximandre!
C'est trop d'effort pour un résultat incertain puisque «la
polymathie n'enseigne pas l'intelligence» selon Héraclite.
C'est sur Samos, dont les relations avec la France datent du 19
ème siècle que l'on aimerait édifier un centre européen des
mathématiques et de la musique, projet pythagoricien sur l'ile
où Pythagore a vu le jour. À équidistance du Moyen-Orient et de la
Russie. À portée de voix de la Turquie. Sur la ligne de fracture où
depuis l'Antiquité Occident et Orient se dévisagent, parfois
s'unissent et si souvent se déchirent. Karol Beffa, Katia et
Marielle Labèque, Thierry Pécou, figures de proue de la musique
française sont prêts à se joindre aux mathématiciens des deux
universités pour faire revivre l'Égée de Pythagore.
Si au 19 ème
siècle la guerre fut «la continuation de la politique par
d'autres moyens» (Clausewitz) ce rôle incombe dorénavant à la
culture qui reste, en même temps, instrument de réconciliation.
Donnons-lui une chance!